Une résidence pour l'été 2015
Orangerie Espace Tourlière - Verrières le Buisson
Mija est experte en bien des domaines des arts plastiques : dessin, gravure à la pointe sèche, aquatinte et tant d’autres modalités encore. Et bien entendu, la si difficile peinture à l’huile sur toile dont il faut déjouer tous les pièges.
C’est avec une certaine gourmandise mêlée d’appréhension qu’elle s’est installée durant tout l’été à l’Orangerie, répondant avec joie à l’invitation de la Ville.
Elle avait une idée qui mûrissait depuis un certain temps et qui ne demandait que de l’espace et du temps pour s’épanouir dans ses variations les plus diverses. Il s’agissait de tester, par la peinture en particulier, comment le corps humain et la nature pouvaient se parler, s’échanger de façon muette mais visible leurs émotions, leurs sensations, leur terroir commun. Tenter de saisir leur nature commune si proche telle que l’ont pressentie les textes fondateurs les plus anciens de la plupart des cultures. Il suffit de rappeler la Genèse dans l’Ancien Testament pour raconter comment l’homme aurait été modelé par le Créateur dans la glaise même... Or quand on connaît la peinture à l’huile en tant que matériau, on sait à quel point elle peut se comporter comme une chair, onctueuse et pourtant rebelle, brillante de sucs et profonde de reflets palpitants. C’est de cette même matière « première » que l’on fait traditionnellement, tel un matériau primordial, aussi bien les paysages que les académies de nus, ces exercices si fondamentaux dans l’apprentissage du plus fameux des beaux-arts.
C’est donc avec cette idée en tête qu’il faut maintenant s’approcher des toiles au format impressionnant que Mija a réalisé durant ces mois d’été : vous sentirez à quel point ces personnages, à la fois si « classiques » en raison de la qualité de leur dessin et si « modernes » par la liberté de la touche et de la couleur, sont faits de la même pâte que la Nature qui les ceint. Au point parfois, de s’y fondre ou d’ouvrir leurs corps à quelque interpénétration sensuelle :
- plaisir de ce personnage qui se fond dans l’eau sans que l’on sache très bien, belle ambiguïté, s’il s’y noie ou s’il est en pleine extase aquatique (« Océan »).
- baigneuses perdues dans la contemplation tranquille de la mer au point de faire corps avec elle par la matière et la touche du pinceau diaprées et éparpillées comme le scintillement du soleil sur l’eau.
- complicité heureuse et apeurée de ce couple qui s’enfuit sous les frondaisons au prétexte galant du grondement de l’orage, cette colère des cieux après l’expérience cruciale que cette Ève et cet Adam ont eu de l’Arbre de la Connaissance.
- jouissance tranquille d’un autre couple affalé avec délices sous les feuillages (« Le Bonheur »).
Munissez vous ce cette clé élégiaque et intemporelle pour parcourir ce livre d’images amoureusement pétries tout au long de vos vacances puis, après avoir découvert la maîtrise de l’artiste dans les estampes présentées sur les cimaises, n’hésitez pas à ouvrir les cartons à dessins pour y voir de plus près toute la technique de Mija qui s’aventure cycliquement dans le territoire de l’abstraction, cette façon contemporaine de rechercher le secret même de la matière. Son expérience approfondie de graveuse, Mija la met au service d’amateurs éclairés d’abord tentés puis ensuite passionnés par cette aventure. Une visite à son atelier de Sceaux, lors des journées portes ouvertes, est une riche expérience qui permet de comprendre tout ce qu’elle apporte à ses élèves quand on voit la qualité de leurs travaux.
Mais ce n’est pas pour cela que son « cas » est intéressant, car nombre d’artistes savent parfaitement manier le burin, le fusain et le pinceau. Et sont de bons enseignants. C’est bien plutôt dans le travail obstiné qu’elle entreprend cycliquement, au risque parfois douloureux de ne pas aboutir, un travail qui la prend soudain au détour d’une pensée et qu’il lui faut impérativement mener jusqu’au bout, quel qu’en soit le résultat. Combien d’œuvres qui ne convenaient pas à son exigence ont subi les foudres des ciseaux ou l’effacement brutal du grattoir...
Pierre Gilles, Organisateur de l'exposition